Coup de Google

Publié le par Pilote

Fort d'un trésor de guerre de plus de deux milliards de dollars amassé grâce à son introduction en Bourse, Google a décidé de digitaliser quelques millions d'ouvrages issus de cinq universités anglo-saxonnes :

New York, Stanford, Michigan, Harvard et Oxford. En palliant ainsi la carence des institutions publiques auxquelles les Etats ne donnent que de chiches moyens, ce moteur de recherche, le plus utilisé au monde en profite pour redorer son image. Car, même si on l'oublie parfois, Google est avant tout un site commercial qui se doit de présenter des bénéfices en fin d'année. Voilà pourquoi il répond à toute recherche de mots clés en choisissant de mettre en avant certains sites plutôt que d'autres. Pour faire ce choix, il favorise naturellement ceux qui ont le plus de connexions, le plus de liens. Et ce sont souvent, de fait, les sites les plus puissants sur le plan du commerce et du marketing. Rien d'étonnant donc si ces sites sont sélectionnés avant les sites qui répondent plus justement à la recherche. Tant pis pour la pertinence intellectuelle !


Quand vous allez dans une bibliothèque, vous faites vous-même votre choix. Or, sur Google, les résultats de la recherche sont présentés dans un ordre que vous ne maîtrisez pas. Une sorte de préchoix dont nul ne connaît les critères de classement. Alors, comment Google va-t-il gérer les requêtes, le choix des livres qu'il va digitaliser ? Quand on sait qu'un même événement n'est pas du tout traité de la même manière d'un continent à l'autre, la prudence devrait être de mise. Prenons l'exemple de la Révolution française : ancêtre de la démocratie pour certains, années sombres de la Terreur et de la guillotine pour d'autres. Quelle version prévaudra ? N'y aura-t-il que des ouvrages anglophones ? Et si oui, lesquels ? Si certains, comme Jean-Noël Jeanneney, le patron de la Bibliothèque nationale de France, expriment des réserves, on reste néanmoins interrogatif sur le mutisme de nos politiques. Comment les Etats, et par conséquent les citoyens, n'ont-ils pas réussi à générer un système qui ne soit pas dépendant d'un site commercial ? Pourquoi les fonds des plus grandes bibliothèques européennes n'ont-ils pas été mis en ligne avec le soutien de l'Union ? Pourquoi les millions d'Européens n'arrivent-ils pas à faire en sorte que leur culture soit visible et lisible avec les moyens d'aujourd'hui ? S'imposer culturellement, c'est s'imposer économiquement. Les Européens l'oublient trop souvent, pas les Américains.

FRANÇOIS DELÉTRAZ
[26 février 2005]

Source: http://www.lefigaro.fr/magazine/20050225.MAG0015.html

 

Publié dans Le Daily Freenaute

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